Autonomie (19) : Qualité et Quantité !

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

C. Baudelaire, Les Correspondances (extrait)

Un ami m’a parlé de l’œuvre des Dayak – un peuple de Bornéo – qui a planté il y a plusieurs siècles des durianiers dans la forêt. Ces arbres maintenant âgés culminent dans la forêt et nourrissent un grand nombre d’individus. Les animaux raffolent du fruit frais et se précipitent lorsqu’ils tombent à terre. Les hommes le récoltent également par terre et le vendent sur les marchés. Il y a une économie ancestrale autour de ces arbres. 

Ce bombacacé produit des fruits de manière irrégulière : il a besoin de conditions particulières pour que la floraison, nouaison et fructification se passent correctement. Mais quand tous les facteurs sont réunis c’est l’abondance, la fête dans la forêt ! On a l’habitude d’opposer Qualité et Quantité, mais la nature n’est pas ainsi faite. Lorsqu’il y a de bonnes cerises, le cerisier est souvent généreusement couvert ! Le marché des saisons reflète en partie cette abondance : les fruits primeurs sont chers, tandis qu’en pleine saison ils sont plus abordables. Toutefois, la loi de l’offre et de la demande est souvent faussée car les vendeurs utilisent de nouvelles méthodes pour fixer les prix.

Aujourd’hui, l’abondance est régulière : nous sommes dans un monde de surplus et de gaspillage. Nous ne traversons plus de périodes de disette. Afin de se restreindre et limiter les abus, il faut faire preuve d’un mental sans faille. Sinon c’est la boulimie !

On retrouve ce paradigme également dans les modes de culture : la plante ne doit jamais être en manque. Elle est constamment gavée en nutriments et en eau. Elle n’a plus à tisser de longues racines et à coopérer avec les microorganismes du sol car tout lui est servi sur un plateau ! Je regardais une conférence du MSV (Maraîchage sur Sol Vivant), la démarche semble intéressante car on propose de nourrir et arroser le terrain afin de développer la vie du sol. Ainsi on améliore le biotop. Je n’adhère pourtant pas complètement à ce schéma, car les intrants sont énormes : on parle de 100 tonnes de Matière Organique / hectare sous serre ! Pour produire combien de kg de légumes ? Cela me semble démesuré et pas du tout résiliant ? 100 tonnes de Bois Raméal Fragmenté ce n’est pas rien ! Faut-il raser des forêts pour nourrir le sol ? Pourquoi les écosystèmes naturels produisent en continu sans intrant ?

“90 à 96% de la matière sèche des plantes provient uniquement des atomes de carbone, d’hydrogène et d’oxygène fournis par les gaz O2 et CO2 et par l’eau.” (source UNIFA)

Si l’écrasante majorité des apports est sous forme de gaz et d’eau, pourquoi devons nous autant se soucier du sol ? Certes les micronutriments sont indispensables, mais dans des quantités très faibles. La principale raison est probablement qu’un sol fertile stocke mieux les ressources en eau. S’il n’est pas compacté, les racines progressent rapidement et vont puiser l’eau en profondeur. L’agriculture sous toutes ses formes (conventionelle, bio, perma…) repose sur des intrants importants et réguliers. N’est-il donc pas possible d’obtenir des systèmes productifs et résiliants ?

La démarche des époux Bourgignon me semble à première vue plus satisfaisante. Elle s’inscrit dans la longueur : ils proposent de regénérer les sols, puis de laisser faire tant qu’un cycle vertueux perdure. Des agriculteurs parviennent à réduire les intrants grâce aux arbres, aux couverts végétaux, aux pâturages… En attendant de retrouver la recette miraculeuse de la terra preta – cette terre très fertile probablement d’origine anthropique – il faut jongler avec tous ces paramètres pour produire de bons fruits et légumes.

Je pourrais finir cet article là, bercé par de bonnes intentions vaguement conformistes. Mais je ne peux m’empêcher de critiquer ce monde absurde totalement fou qui nous oblige à considérer un des carburants fondamental du vivant – le CO2 – comme un poison ! Ce gaz absolument indispensable à la photosynthèse est devenu un polluant, on doit compenser ses émissions, car tout est devenu marchandise. Un monde fanatique où tout est monnayé, même la probité des scientifiques ! Pourtant le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), du bout des lèvres reconnait que le CO2 provoque “Le verdissement de la végétation c’est à dire l’augmentation de la biomasse végétale photosynthétiquement active”.

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