(Photo : Abricotier issu d’un semis, dec. 2016)
Je me demande dans quelle mesure nous ne faisons pas fausse route en ciblant les variétés anciennes dans nos démarches de biodiversité. J’aurais tendance à penser que si la biodiversité consiste à enrichir le patrimoine génétique rien n’équivaut la reproduction sexuée. En effet, que valent quelques milliers d’espèces oubliées par rapport au brassage génétique infiniment plus varié ? C’est pourquoi, il est fort probable que la richesse variétale est beaucoup plus élevée avec le semis.
Cette pensée volontairement provocatrice a pour but de prendre le contre-pied d’un dilemme sans issu. Il y a d’un côté “l’agrobusiness” et de l’autre côté les amateurs. Tant que le monde des amateurs reste faible en volume, on tolère son existence. Les jardiniers recherchent souvent l’authenticité à travers des variétés anciennes. Mais il ne faudrait pas que ces variétés oubliées prennent plus d’importance ; au point de faire de l’ombre aux espèces modernes obtenues dans les laboratoires privés ou publics. La création de nouvelles variétés est devenu leur exclusivité. Il s’agit d’un phénomène très récent et je me demande dans quelle mesure l’agrobusiness n’est pas satisfait par le fait que l’amateur se résigne à son impuissance. A l’échelle de l’histoire de l’agriculture, cette situation est extrêmement récente. Jusqu’à l’aube du XXème siècle, agriculteurs, pépiniéristes, jardiniers créaient et distribuaient de nouvelles variétés chaque année.
Aujourd’hui, les laboratoires se sont accaparés ce divin pouvoir de créer des variétés nouvelles. En mettant en avant la sécurité alimentaire, les organismes étatiques et privés ont l’exclusivité des nouvelles variétés. Et si par mégarde une nouvelle variété leur échaperait, le catalogue officiel serait là pour entraver les débouchés commerciaux de cette nouvelle plante.
J’ai l’impression que nous sommes abreuvés d’une quantité invraisemblable de fausses vérités au sujet de la reproduction sexuée. Sous prétexte de défendre le consommateur, on lui dresse un tableau épouvantable de ce que la nature est capable de faire lorsqu’elle est livrée à elle-même. Pour ma part, j’ai constaté qu’un bon nombre d’arguments mis en avant pour alerter les gens vis-à-vis du semis ne sont pas toujours valables. C’est ainsi que j’ai pu observer que la mise à fruit de certains fruitiers obtenu par semis n’est pas plus longue que celle d’arbres fruitiers greffés. La qualité gustative des espèces obtenus par semis n’est pas aussi mauvaise qu’on le laisse croire. En fait, il faudrait repenser notre jugement face à la nature ! De la même manière que nous sommes enchantés par un nouveau-né fruit d’une formidable combinaison génétique, nous devrions être également subjuguer par la capacité de la nature à se réinventer constamment. Les fruits issus d’arbres non-greffés ont des qualités organoleptiques uniques. On nous a appris à être des consommateurs et nos exigences en terme aspect esthétique on pris le pas sur celles du goût. Lorsque l’on est devant un étalage, on favorisera bien souvent un fruit intact plutôt qu’un fruit un peu abîmé et cueilli à point.
Je pense qu’il est primordial de réintroduire dans nos jardins des arbres issus de la réunion d’un gamète femelle et mâle. Tel un trésor unique : vous disposez d’une variété singulière qui ressemble à beaucoup d’autres tout en étant génétiquement différente. Il est vrai que lorsque l’on dispose de très peu de surface, il peut sembler dommage de consacrer de l’espace pour ce type d’expérimentations. Beaucoup voient d’un mauvais œil le semis, on évoque une “loterie” comme si l’on allait avoir que des mauvais numéros. La nature est-elle si mal faite ? J’aurai tendances à privilégier la mixité entre les espèces. Ceci pour pouvoir à la fois profiter d’espèces identifiées et ainsi assurer la récolte tout en ayant la possibilité d’avoir de bonnes surprises avec des variétés issues d’une fécondation. Le cas échéant, l’arbre ainsi obtenu pourra se transformer en porte-greffe. Il ne faut pas laisser le privilège de la création variétale aux institutionnels ou grandes entreprises. Rappelons-nous des désastres causés par ses tomates sans saveur qui se sont multipliées à la fin des années 80 et ont envahi nos marchés ! Que penser de certaines nouvelles pommes sans personnalité ? Le choix des variétés est fait par un panel de testeurs qui gouttent les nouvelles variétés. Au final, une moyenne est obtenue et neutralise les écarts pour favoriser une variété aux qualités “moyennes”. Pensez à ce que la démocratie d’aujourd’hui aboutie lorsque les électeurs sont amenés à élire le moins pire des candidats.
Je propose d’encourager le mouvement spontané et perpétuel de la nature qui se réinvente constamment. Le vivant ne doit pas être sanctuarisé dans un musée qui conserveraient les espèces dans du formol.
Pour compléter cette tribune, je vous invite à visionner le documentaire de Coline Serreau “Solutions locales pour un désordre global (2010)”. En particulier, les témoignages de Vandana Shiva qui lutte contre le brevetage du vivant et la biopiraterie.
Enfin, terminons par une citation de François Joseph Grille d’Angers qui disait en 1825 :
« Les planteurs d’ormes se bornent trop souvent au moyen le plus facile, qui est de planter par rejeton et par éclats de racines ; mais ils en sont les dupes, et ils n’obtiennent que des sujets rabougris qui ne rapportent presque rien. On distingue au premier coup-d’œil, à la beauté de leur port et à la vigueur de leur végétation, les ormes de semis, et ceux à feuilles étroites greffés sur sujets écossais, dans les plantations d’agrément, dans les parcs, et sur les pelouses qui environnent les maisons de campagne. »
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