La saveur des fruits

Le fil telegram d’acclimatons est l’occasion de confronter son point de vue à celui des autres. Je me suis rendu compte que je ne partageais pas l’avis de bon nombre d’acclimateurs à propos de l’évaluation d’un fruit. Pour moi, pour qu’un fruit soit bon, il doit répondre à un nombre important de critères. Et ses critères sont loins d’être objectifs ou exhaustifs :
l’espèce, c’est le critère le moins objectif : peut-on dire qu’une arbouse est moins goûteuse qu’une datte ?
la variété ! Préférez-vous manger une orange amère ou une orange douce ?
 –le développement du fruit : sous un prunier Reine Claude, on apprend vite à reconnaître les fruits particulièrement goûteux…
la maturité, lorsque le fruit est vert ou en sur-maturité il peut être immangeable (par exemple kaki, sapotille astringentes)
– les conditions de culture (le terroir, le climat),
– la conservation et le transport,
A cela s’ajoute l’état de la personne qui consomme le produit : après avoir mangé deux kilo de jackfruit, même si l’on vous présente le meilleur jackfruit vous n’en voudrez plus !!! Les phénomènes d’alliesthésie (satiété, changement de saveur…) ne sont pas négligeables et s’expriment sans entrave avec un fruit frais. D’autres phénomènes, socio-culturels, préjugés, mauvaises expériences vont influencer également l’appréciation que l’on fait d’un fruit.

Ceux sont les raisons pour lesquelles j’estime qu’il ne faut pas établir un jugement définitif à propos d’un fruit. Voici quelques exemples qui me viennent en tête :
– Un jardinier, dans les années 2000, a écrit sur un forum qu’il a abattu son Casimiroa edulis car il n’aimait pas les fruits. Je ne conteste en rien son choix, mais il a influencé durablement les autres personnes.
– Sur le canal Telegram, un membre en voyage en Chine a déclaré que le Wampi était impropre à la consommation crue car trop acide. Or ce rutacées, tout comme les agrumes compte des variétés acides (comme le citron) et des variétés douces (comme la mandarine). Résultat les gens se détournent du Wampi et ratent peut-être un délice (D. Fairchild a rapporté dans ses mémoires que les thaïlandais considéraient le Wampi comme le meilleur fruit du pays) ?
– Une acclimateuse du Gard m’a apporté des Akebia de son jardin (photo de l’article), j’en avait entendu parlé en bien (par Damien et Eric deux célèbres permaculteurs). Eh, oui c’est sucré, mais cela manque de parfum. C’est même difficile de finir un fruit… Mon réflexe est de savoir si d’autres variétés d’Akebia sont plus savoureuses, ou si après le repas je n’avais plus faim ? Je n’ai pas d’avis définitif sur la question, je ne pense pas que nos deux amis permaculteurs ont fantasmé ou exagéré sa qualité gustative. Donc je reste “ouvert” sur le sujet. Idem sur le pepino, je ne désespère pas de trouver un jour une bonne variété ?
– En 1998 ou 1999 quand je travaillais à Orkos, un fournisseur camerounais nous a adressé un échantillon de Safou. J’avais entendu parlé de ce fruit par deux explorateurs (Mark et Frédéric). Ils étaient dithyrambiques ! Un soir alors que je visitais les chambres froides (je faisais l’état du stock afin de passer commande), j’ai vu ces fruits moisir dans un coin, j’ai demandé ce que c’était. J’ai mis de côté mes a priori et goutté ce fruit étrange. J’ai été immédiatement conquis par sa saveur beurrée et j’ai passé une grosse commande auprès du producteur et je me suis efforcé à promouvoir ce fruit singulier auprès de la clientèle. Le succès fut phénoménale, certaines semaines Orkos vendait plus de safou que d’avocat ! le prix du fruit a été multiplié par dix depuis…
– Au début du XXème siècle, les producteurs d’avocat californien se réunirent pour lancer des action afin de promouvoir ce fruit boudé par les consommateurs. Aujourd’hui, on connaît l’engouement qui n’a nul besoin de publicité !
– Autre expérience enrichissante : le changement de saveur du durian. Au début, le fruit peut nous apparaître repoussant (saveur de tarte à l’oignon) et si malgré tout on continue à le tester, la saveur (et son odeur !) peuvent devenir tout à fait exceptionnelles !!!

Tout ceci pour inviter à non seulement respecter les gouts et les couleurs de chacun, mais surtout à toujours laisser une chance à un fruit. Il serait dommage de figer son appréciation sur un produit immature ou de mauvaise variété ? Je sais que cet état d’esprit, ne correspond pas à l’homme du XXIème siècle qui veut tout cataloguer, juger de manière expéditive et définitive. 

« Qu’il lui fasse tout passer par l’étamine et ne loge rien en sa tête par simple autorité et à crédit ; les principes d’Aristote ne lui soient principes, non plus que ceux des Stoïciens ou Épicuriens. Qu’on lui propose cette diversité de jugements : il choisira s’il peut, sinon il en demeurera en doute. Il n’y a que les fols certains et résolus ». Montaigne

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