Le creux de ses joues, l’imperméable un jour sans pluie. Une main sur le guidon, un pied à terre. Ses yeux enviaient quelques noix tombées sur le bord de la route. Depuis combien de temps cette jeune fille n’avait-elle pas mangé à sa faim ? Ses globes noirs et secs, creusés et craintifs épiaient derrière les visages gris des automobilistes le moment où elle aurait pu voler ces quelques noix. Peut-être a t-elle croisé le mien ? Qu’a-t-elle pensé de mon air suspicieux ? Qu’a-t-elle imaginé en sentant mon dédain ?
Je me souviens de ce visage anguleux, de ces yeux traqués, de cette beauté innocente. Je me souviens de la faim déraisonnée, de ce petit cœur combatif. Je me souviens de ces yeux enfoncés et de ce sac plastique probablement rempli de quelques pommes véreuses et de prunelles. Je me souviens de son désespoir.
Et nous autres ? Agglutinés les uns derrières les autres au passage à niveau, nous étions là, grimaçants. Misérables regards toisants. Allait-elle nous voler les quelques noix qui années après années s’agglutinent et se décomposent ? Dans nos engins fait d’acier, nos regards plus venimeux qu’un crachat, nos jugements blessants fusaient vers la jeune fille.
Bien sûr, si elle avait su produire un sourire détaché, un ventre bien rempli et un air désinvolte nous ne nous serions pas acharné contre elle. Car, pourquoi donc vouloir se baisser pour ramasser quelques noix pourries ? Aujourd’hui, je me souviens de sa détresse, de son regard omnibulé par ces oléagineux perdus dans l’herbe. Je me souviens de cet os parcourant ses joues de la commissure des lèvres aux oreilles. Je me souviens de son regard croisant le mien. Je me souviens du réflexe d’orgueil qui m’a alors parcouru. Il n’existe pas de pardon pour ce mépris. Dans son regard, je lis tout le mal qui m’assaille. Depuis ce jour, j’ai déjà changé mille fois d’habits mais je la voie toujours avec son imperméable et ses vêtements désuets. Depuis ce jour, je pense à elle. Et dans ses yeux si profonds, j’observe le mal que je répands.
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